Nouveau système de remboursement des soins psychologiques : à quel prix ?
Alors que certains le présentent comme « historique », l’accord convenu autour de la nouvelle convention INAMI de remboursement des soins psychologiques nous apparaît comme une atteinte grave portée à notre travail de psychologue et au respect de la souffrance de nos patients. Si elle est appliquée, elle risque de créer un précédent tant au niveau de la liberté de choix du patient, de l’autonomie de la pratique, que du respect du secret professionnel.
C’est pourquoi nous appelons les psychologues cliniciens à ne pas signer cette convention.
Accessibilité pour tous : l’arbre qui cache la forêt
En effet, il est crucial de se poser la question du prix auquel le remboursement dans le cadre de cette convention est obtenu et celle de la conception de l’être humain qui la sous-tend. Nous assistons aujourd’hui à la mise sous tutelle de la pratique des psychologues à un système non pas de soin, mais de rééducation, et cela dans un cadre extrêmement contraignant et délétère pour les patients comme pour les psychologues.
Les promoteurs de cette convention négociée avec deux des associations de psychologues cliniciens (VVKP-UPPCF) sur les cinq existantes mettent en avant l’accessibilité pour les patients. Celle-ci est pourtant loin d’être obtenue puisque l’enveloppe ne permettra pas de répondre au réel besoin de la population. Cet effet d’annonce publicitaire est en fait l’arbre qui cache la forêt d’une réalité inquiétante. Lorsqu’on se donne la peine de lire la convention, on constate que le prix à payer, pour obtenir le remboursement, est celui de la liberté de parole, du droit à l’intimité et à être reçu et écouté comme une personne avec une souffrance propre.
Le secret professionnel bafoué
Tout d’abord, cette convention met le psychologue dans l’impossibilité de respecter le secret professionnel, secret qui lui est pourtant imposé par la loi (cf. article 458 du Code pénal sur le secret professionnel). Le remboursement est conditionné par le partage des données confidentielles au médecin généraliste et à d’autres tiers, sans que le patient ait le choix de donner un réel consentement. Rien ne prévoit dans la convention le cas où le patient ne donne pas son consentement, ce qui équivaut à l’exclure du remboursement. Par ailleurs, le partage numérisé est imposé par le transfert du bilan fonctionnel dans le Dossier Médical Global, ce qui n’est pas sans poser de questions sur ce partage et la sécurité de ces données. Pour faire partie du système, on ne peut donc pas ne pas consentir. C’est la voie d’une marche forcée. Ce qui est légalement, déontologiquement et éthiquement inacceptable. Rappelons aussi que le secret professionnel est un pilier essentiel de notre démocratie.
Contrôle inadapté et injustifié de la pratique
Ce qui nous inquiète ensuite, c’est la logique dans laquelle on veut nous emmener. On nous dit : « Nous payons, donc nous voulons savoir ce que vous faites avec vos patients ». Comme si le psychologue, comme tout autre professionnel, n’était pas formé, soumis à de strictes règles éthiques et déontologiques, et appelé à se former encore tout au long de sa vie professionnelle. Si nous ouvrons cette boîte de Pandore, exercer la psychologie ne sera tout simplement plus possible. Outre que le nombre de séances et sa durée sont imposés, cette convention n’est en fait qu’un système de contrôle du psychologue et de son patient : « bilan fonctionnel » que le psychologue doit remplir, adhésion à une « charte de qualité » qui n’est pas définie, ni même négociée avec les psychologues qui signeraient cette convention – c’est une véritable inquisition dans le travail du psychologue qui se profile et fera date. Aucun autre professionnel dans le domaine de la santé n’est soumis à de telles conditions et une telle ingérence dans sa manière de travailler.
Nous dénonçons un contrôle injustifié du travail du psychologue sous couvert de « critères de qualité » qui se présentent comme scientifiques, mais se révèlent être des outils d’évaluation invasifs et de type « managérial » tout à fait inadéquats dans notre champ d’activité. Cela porte une atteinte grave à notre cadre de travail et à notre liberté de psychologue. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de prôner le peu de formation et de contrôle du praticien, mais ceux-ci doivent être exercés par ceux qui sont légitimes à le faire, collègues expérimentés, superviseurs et formateurs choisis par le psychologue. Cela se fait depuis toujours et montre ses preuves chaque jour.
Une reconnaissance des psychologues par l’INAMI au mépris de la loi et la déontologie
Les mutuelles remboursent depuis des années des séances chez le psychologue. Si l’on ne voulait pas instrumentaliser le métier de psychologues et si l’on voulait respecter sa liberté de pratique, pourquoi n’a-t-on pas rendu possible une augmentation de ces remboursements simplement via les mutuelles ? Le système est parfaitement opérant, et aurait pu être facilement et rapidement renforcé.
La réalité des enjeux ne réside pas dans un réel souci de la qualité des soins apportés au patient, sinon une telle convention n’existerait pas. Les enjeux sont politiques : d’abord, certains psychologues veulent à tout prix « rentrer à l’INAMI », quelles que soient les conséquences pour les patients et leurs collègues. Des raisons économiques et de reconnaissance peuvent être compréhensibles, mais pas quand il s’agit de le faire au mépris de la loi et de sa déontologie. Ensuite, il y a une réelle tendance à vouloir cadenasser la profession dans des protocoles standardisés où il n’est plus question de parole ni de souffrance – non évaluable et trop complexe. Les bilans, les critères « qualité » font plus scientifiques sans doute, mais ne nous méprenons pas : ce n’est que du chiffrage, de la mesure visant le contrôle, et cela n’équivaut absolument pas à un gage de qualité. Au contraire, cela déshumanise, transforme le patient en objet de soin et le professionnel en technicien – cela porte atteinte au lien de confiance nécessaire entre eux.
Objectivation et vision destructrice du soin psychique
Cette objectivation est obtenue en imposant des dites « bonnes pratiques » (« evidence based practice », terme issu de la pratique médico-légale) qui réduisent l’être humain à un bon ou à un mauvais fonctionnement qu’il faut soumettre à des techniques rééducatives censées agir rapidement, au mieux par méconnaissance des problématiques de santé mentale (si c’est le cas, nous sommes très ouverts à nous rendre au Cabinet du ministre de la Santé où on ne nous invite jamais) ou pire, au mépris des patients et des psychologues qui les accompagnent.
La vision est court-termiste et le modèle sous-jacent du soin psychique trop simplement calqué sur la médecine somatique et fonctionnelle, avec la croyance d’une possible et facile éradication des symptômes psychiques, ce qui contribue à alimenter une culpabilisation des patients qui ne « guérissent » pas assez vite – rejoignant l’apparition, dans certains protocoles hospitaliers, d’une incitation à l’euthanasie pour causes psychiques.
Plus pragmatiquement, comment va faire le patient qui aura rencontré le psychologue conventionné quand il aura épuisé son quota de quatre, huit et bientôt vingt séances ? Pourra-t-il ensuite payer le prix plein de 75 euros ? Il ne le pourra sans doute pas, sinon il n’aurait pas fait appel à ce système, ce qui risque donc de provoquer, en plus du reste, une fâcheuse rupture de la continuité des soins.
Plus fondamentalement, un tel système organise la destruction d’un des ressorts essentiels de l’efficacité de la pratique clinique d’un psychologue : l’établissement d’un lien thérapeutique avec son patient, appelé parfois transfert, et qui doit pouvoir être supporté par le clinicien aussi longtemps que nécessaire, selon une temporalité qui n’est jamais prédictible.
Pourtant, d’autres solutions existent que la comptabilisation des séances et l’imposition d’une pratique standardisée qui ne correspondent pas à la réalité et que nous refusons.
Complexification et démantèlement du réseau de soin existant
Nous estimons que ce système de remboursement des soins psychologiques est une mauvaise utilisation de l’argent public qui n’atteindra pas l’objectif qu’il se donne officiellement. Nous déplorons que les services publics belges ne décident pas de renforcer l’aide déjà existante et offerte au niveau des Services de santé mentale, des Plannings familiaux [de compétence régionale, il est vrai] dont les missions sont depuis des décennies de recevoir les personnes qui ne peuvent pas consulter en cabinet privé, donc celles visées par la convention. Ces institutions publiques sont restées insuffisamment subventionnées au regard de l’évolution des demandes d’accompagnements psychologiques et psychiatriques de la population. Les psychiatres qui y exercent n’obtiennent pas une revalorisation de leur salaire, très inférieur à ceux des psychiatres hospitaliers, et donc les désertent, alors même que la réforme fédérale actuelle en santé mentale prône une proximité des soins et une déshospitalisation des prises en charge. Or, ces services ont déjà toute une solide expertise fondée sur une expérience de terrain, dont la connaissance essentielle du réseau de soins qui les entoure et les ressources d’un travail en équipe pluridisciplinaire qui a fait depuis longtemps les preuves d’un travail de qualité.
L’offre de soins se voit ainsi encore plus complexifiée. Les arguments qui tendent à faire penser que cette offre de remboursement serait complémentaire aux Services de santé mentale ne nous convainquent pas et nous y voyons plutôt une tendance à la privatisation de l’offre de soins qui ne pourra se révéler que très inégalitaire, tant du côté des patients que de celui des psychologues dont, à diplôme équivalent, et c’est inédit dans les soins de santé, certains pourront offrir le remboursement et d’autres pas. Cette tendance à la privatisation a déjà l’effet d’un démantèlement du réseau institutionnel existant qui tente de rester ouvert à la diversité des trajectoires de soins en santé mentale, contrairement aux « circuits de soins » préétablis qui se trouvent aussi tapis derrière ce type de convention.
Et après ?
Si nous acceptons cette convention, d’autres viendront qui encadreront et conditionneront encore plus les soins donnés à ceux qui penseront que parce que c’est remboursé, c’est mieux et plus accessible. Aujourd’hui, prendre la peine de décrypter le texte de cette convention qui prend la forme d’objectifs aux abords louables, sous couvert de bonnes intentions qui font miroiter l’innovation par « le développement d’une culture de qualité » [sic], fait apparaître que ce sera pire et que ça pourra l’être plus encore : s’étendra toujours plus la culture de la transparence et de la standardisation des soins psychiques.
Hélène Coppens, psychologue clinicienne, présidente d’APPELpsy, Association des psychologues cliniciens pour la parole et le langage.
David Teetaert, psychologue clinicien, président de KLIpsy, Beroepsvereniging van klinisch psychologen voor praktijken die het spreken centraal stellen.