Assemblée Générale d’APPELpsy, Bruxelles, 20 Janvier 2018
Chers collègues,
Au nom du Conseil d’Administration d’APPELpsy je vous remercie chaleureusement pour votre soutien. Votre présence aujourd’hui montre qu’il existe, parmi les psychologues, une force d’opposition au modèle unique de soins en santé mentale qui à terme va détruire les modes variés d’accompagnements de la souffrance psychique que nous pratiquons aujourd’hui.
Plus que jamais se démontre dans l’époque où nous vivons que la clinique est un fait politique – contrairement à ce que d’aucun voudrait croire. La clinique du psychologue est pétrie de ce qui se déroule dans le collectif, donc dans le monde. Chaque personne que nous recevons peut à ce titre être accueilli comme un témoin du malaise dans la civilisation. C’est pourquoi il n’y a aucune antinomie à intervenir dans le champ politique à partir de notre position de praticiens. Cette position, vous l’aurez compris, relève de l’éthique que chacun place dans son action de praticien.
Pour le dire de façon ramassée, notre époque est la première à ressentir à ce point la remise en question de toutes les structures sociales par le progrès de la science et par les avancées de la technique. S’il ne s’agit pas de remettre en question ce progrès, notre devoir comme praticien de l’écoute est de l’interpréter, c’est-à-dire d’en mesurer toutes les conséquences et d’abord et avant tout, celle-ci qui verrait notre pratique détruite par la robotisation des méthodes : randomisation des cohortes de patients, pratique basée sur des preuves quantifiables, réduction de l’humain à ses paramètres de compétences, numérisation et partage des paramètres de l’intime dans le nuage informatique et surtout évaluation à tous les niveaux et dans tous les sens de ces paramètres exhumés de la vie privée pour une pure gestion des corps. Les pratiques psy variées et subtiles seront réduite à un acte protocolisé c’est-à-dire opérable comme marchandise dans le grand marché des soins.
Pour toutes ces raisons et d’autres encore qui partent du même constat, APPELpsy n’est pas une Association professionnelle comme une autre. Nous ne nous sommes pas agrégés par corporatisme ou pour défendre notre bout de gras. Nous nous sommes rassemblés pour défendre une politique du champ psy et l’éthique de ces praticiens, celles issues des pratiques de parole qui viennent en lieu et place du champ subjectif réduit au silence par la science. C’est pourquoi nous inscrivons notre action dans un cadre plus vaste, celui des praticiens de la parole qui rassemblent de nombreux autres acteurs du champ psy et au-delà des juristes, des médecins, des chercheurs, des enseignants et plus encore, tous rassemblés dans un collectif qui est notre chambre d’échos et de combat : le COPEL-COBES, Collectif des praticiens de la parole, bilingue. L’initiateur du COPEL-COBES, Gil Caroz, interviendra durant cette assemblée pour présenter le collectif, ses actions et ses perspectives.
Notre mouvement a émergé lorsque Madame Maggie Deblock, ministre de la santé, s’est attaquée à la loi sur les professions de soins en santé mentale votée dans la précédente législature au terme d’un travail parlementaire long et attentif soutenu notamment par Mesdames Onkelinx et Gerkens qui avaient compris qu’il fallait prendre en compte la diversité du champ, l’avis des nombreux acteurs ainsi que la sensibilité de la matière. Cette longue réflexion politique fut balayée d’un revers de la main par la ministre entrante qui ne fit rien moins qu’écraser la diversité des approches au profit d’une unique voie dites Evidence Practice. Réduction de la pratique au mesurable, à l’objectivable et à l’évaluable, tout cela au nom de la science. Nous disons : fausse science, scientisme qui se donne des airs de science. Réduction encore de l’art de guérir à une marchandise, au nom d’un capitalisme que l’on peut qualifier d’illibéral.
La médecine – qui est avant tout un art de guérir – et encore plus les pratiques psys – qui sont un art de la parole – ne peuvent relever totalement du champ de la science. Si nos pratiques peuvent chercher à s’en approcher, en ne négligeant aucune découverte, ni aucun concept nouveau, notamment dans l’épistémologie, notre pratique doit en même temps savoir qu’elle ne sera jamais une science, si être science suppose une robotisation du vivant. Si nous accordons à ce point une importance à la parole dans nos pratiques c’est parce que, d’une façon ou d’une autre, nous partons de ceci que nous sommes des êtres de langage et que ce point de départ modifie jusqu’à la conception que l’on peut avoir de ce qu’est un corps et plus encore un corps parlant et souffrant.
Le 20 décembre 2016 nous lancions donc notre appel à former cette association professionnelle de psychologue praticien de la parole et du langage – APPELpsy ! Le jour même nous avions 50 membres, le 31 décembre nous étions plus de 200 ! A ce jour plus de 300 psychologues ont demandés à entrer dans APPELpsy ! Nous avons dû nous régler pour inscrire les membres effectifs sur les critères du ministère, afin de pouvoir postuler au Conseil Fédéral des Soins en Santé mentale. Seuls les psychologues dûment inscrits à la Commission des psychologues pouvaient être retenus comme membre effectifs. Les autres sont adhérents et nous soutiennent à leur façon. Le 24 mars 2017 un Arrêté ministériel nommait APPELpsy parmi les 18 Associations reconnues comme Association Professionnelle représentatives telles que visées à l’article 68/3 de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé du 10 mai 2015.
Nous avons ensuite été invités à présenter des représentants de l’Association au Conseil. Finalement il nous fut expliqué que lesdits représentants seraient considérés comme des experts, donc tenus à la discrétion et ainsi réduits au silence. Parmi les candidats proposés Céline Aulit a été désignée comme membre effectif pour siéger au Conseil et moi-même comme membre suppléant. Nous occupons donc un siège dans ce conseil. Klipsy a obtenu une place de suppléant tenue par Lieve Billiet mais son effectif est d’une autre association, ce qui laisse peu de chance qu’elle puisse assister aux réunions plénières. Le Conseil compte 28 sièges, nous sommes donc un grain de sable pour enrayer une grosse machine, mais un grain de sable peut à l’occasion suffire. Céline Aulit développera tout à l’heure quelques points de son travail dans le premier groupe qui s’est mis en place et auquel elle a participé.
Les missions de ce Conseil sont de donner des avis pour préparer les futurs Arrêtés Royaux concernant pour le moment quatre points :
- 68/1: l’exercice de la psychologie clinique
- 68/2: l’exercice de l’orthopédagogie clinique
- 68/2/1: l’exercice de la psychothérapie
- 68/2/2: professions de support en soins de santé mentale
En quelques mots ce qui se prépare est ceci : pour exercer la psychologie clinique il faudra au sortir des études obtenir un visa du ministère qui permettra d’exercer sous la tutelle d’un psychologue agréé. Les critères d’agrément retenus par le Conseil Fédéral auront une incidence sur le programme futur des études de psychologie et de leur validation. Le psychologue diplômé muni de son visa pourra commencer à chercher du travail. Il devra alors réaliser l’équivalent d’un an de pratique supervisée à temps plein avant de pouvoir exercer de façon autonome. Tout va se jouer sur le mode d’application des critères d’agrément nécessairement orienté Evidence Based. Le psychologue dûment décoré aura à suivre les protocoles prévus et à alimenter la banque de données des paramètres de l’intime pour nourrir le big data des gestionnaires de la santé mentale. Aujourd’hui le psychologue, demain l’instituteur et tous les acteurs l’école seront conviés comme vous l’avez lu dans la presse cette semaine à compléter un dossier partagé qui suivra l’élève toute sa scolarité jusqu’à y inclure les diagnostics posés par d’autres experts ! Pour ce faire le législateur cherche à modifier progressivement la loi portant sur le secret professionnel.
Notre action au sein du Conseil ne permet pas de modifier ce qui y est préparé en amont et qui n’a en général plus qu’à être discuté pour la forme et entériné, l’écrasante majorité étant en accord avec les travaux préparatoires réalisés soit par les universités, soit par les agences de recherche scientifique comme le KCE ou le CSS. Nous pourrions incider sur le texte avec quelques autres. Evidemment nous faisons entendre notre voix pour mettre en valeur à quel point ce schéma conduit à l’érosion progressive des apports de la psychologie dynamique depuis plus d’un siècle, mais comment faire résonner une voix contraire sans légitimer en débattant le processus de concertation qu’est censé représenter ce Conseil ? C’est le point sensible. C’est pour quoi il est fondamental de rechercher de nouvelles adhésions et de faire entendre à vos collègues psychologues l’importance symbolique de l’adhésion à APPELpsy ! Chaque voix compte. C’est pour quoi aussi le COPEL COBES est le porte-voix de notre action commune, réduite au silence d’un côté elle requiert le vacarme de l’autre !
Pour terminer avant de passer la parole à mes collègues et ensuite à la salle, un mot à propos de la marche forcée des lobbys pour imposer leur modèle de marchandisation du champ de la santé mentale. Hier soir au moment où je rédige cette introduction un message me parvient vers 23h00 d’un ami chercheur en sociologie en France. Il m’écrit car il très inquiet du projet de réforme pour le secteur du handicap qui d’ici 3 ans mettra en place une « nomenclature des besoins et des prestations ». L’objet est d’élaborer un référentiel tarifaire à partir d’une adéquation des financements aux parcours des personnes en situation de handicap. Concrètement il s’agit à partir d’une nomenclature de faire correspondre des besoins avec des prestations de soins et d’accompagnement. Cela doit matcher ! [C’est le matched care] C’est typiquement ce qui se fait déjà écrit-il dans les établissements hospitaliers, et de nombreux travaux montre pourtant l’épuisement des professionnels hospitaliers qui ne cessent de dénoncer l’échec de ce dispositif. Avec cette réforme il s’agit de transcrire l’accompagnement (ou la relation éducative) en « prestation de service ». Donc les établissements se réduiront à être des prestataires de service et s’ils veulent recevoir un financement ils devront adapter leur offre en conséquence.
Lieve Billiet qui participe aux travaux du Conseil Fédéral pour KLIPsy a publié hier dans dewereldmorgen.be un article intitulé « Compétences et compagnie : Sur la déshumanisation des soins de santé (mentale) » dont vous trouverez le lien sur COPEL-COBES et qui sera rapidement traduit en français. Elle y écrit notamment ceci :
« La souffrance psychologique est liée à la condition humaine. C’est pourquoi toute organisation de soins de santé (mentale) s’appuyant sur un paradigme déshumanisant, à la recherche de la parfaite adéquation, à la recherche d’une efficacité maximale, produira des « déchets résiduels » massifs. »
Dominique Holvoet, 20 janvier 2018